CHAPITRE XXIV

Jaina Solo trouvait cette réception complètement absurde. Pour commencer, elle avait lieu à bord du Baie de Tafanda, un des vaisseaux villes planant au-dessus de la jungle ithorienne. Les vaisseaux, des sortes de serres géantes assorties de leur propre écosystème, étaient humides et chauds. Dans sa tenue d’apparat de Jedi, Jaina étouffait.

Conduire de telles festivités sur une planète qui serait bientôt le point de mire de l’ennemi semblait idiot. Jaina aurait préféré rester à bord du Ralroost avec ses camarades de l’Escadron Rogue. Figurer sur la liste des invités parce qu’elle était une Solo et une Jedi la dérangeait. Le colonel Darklighter représenterait l’escadron… Comme si les crétins chargés du protocole craignaient que les pilotes perturbent la cérémonie avec leur franc-parler.

La réception se tenait dans un grand hall ouvert, au milieu des arbres. Entre les ramures, on apercevait le dôme de transpacier donnant sur le ciel nocturne de la planète.

Les murs et le sol étaient tapissés de marqueterie dorée où couraient des veines plus foncées.

Jaina le savait pertinemment : les diplomates vivaient dans un monde en marge de la réalité. Des ennemis mortels étaient d’une politesse exquise l’un envers l’autre, sans cesser de comploter derrière les portes fermées.

Tout cela avait un seul but : donner l’impression que tout allait bien…

Jaina soupira.

Ça signifie au moins que les gens seront polis avec les Jedi…

— Quel soupir ! Cela a-t-il soulagé votre âme ?

Jaina se tourna et sourit à Ganner.

— Oui, un peu.

Elle dissimula son trouble en voyant la cicatrice, sur son visage.

— Je devrais essayer un soupir, moi aussi…

— Pourquoi ? Oh, je vois… J’ai entendu dire qu’il y avait quelques problèmes.

Elle regarda un groupe de Jedi entourant Kyp Durron. Ganner sourit.

— Mes expériences sur Bimmiel et Garqi m’ont rendu plus… avisé. Que je dise franchement aux Jedi à quel point les Yuuzhan Vong sont dangereux ne leur plaît pas. Le réalisme leur semble synonyme de défaitisme.

— Avoir sauvé Corran sur Bimmiel n’est pas un point en votre faveur.

— Non. Mais je ne le regrette pas. J’avais bien besoin des leçons que j’ai apprises à son contact. Je suis heureux d’avoir vécu assez longtemps pour ça.

— Désolée que vous ayez été blessé.

— Pas moi. Avant, il m’était trop facile de croire à ma propre invulnérabilité. Dans mon arrogance, je me jugeais parfait. C’est un travers dans lequel sont tombés Kyp, Wurth, Octa et toute la clique. Et une illusion qui m’a quitté…

— Ouh là ! fit Ganner.

— Ça n’est pas si grave que ça. La moitié du temps, nous volons dans les skips, pour aider à la formation des autres. Les Impériaux ne nous posent pas de problèmes, mais les Chiss sont sacrement dangereux.

— J’ai senti leur présence, sans jamais les voir.

— Moi non plus, sauf sur mon écran arrière. Ils tiraient sur mon aile X ou sur mon skip. (Elle regarda l’estrade où Relal Tawron recevait les envoyés de la Nouvelle République.) Après eux, ce sera le tour des Vestiges, et peut-être des Chiss.

— Leur jeter un coup d’œil m’intéressera, dit Ganner. Après vous…

Pour ma part, songea Jaina, c’est le leader des Chiss que j’aimerais rencontrer.

Dans toutes les simulations, quand elle était descendue, c’était par leur chef.

Elle avait vérifié les données statistiques : le leader des Chiss s’attaquait systématiquement aux meilleurs pilotes, les uns après les autres. Wedge et Tycho l’avaient abattu une fois. Mais globalement, il faisait pencher la balance de son côté.

Ganner et Jaina avancèrent vers l’estrade au moment où Luke et Mara y montaient. Des applaudissements les saluèrent, les plus chaleureux venant des Ithoriens, visiblement ravis d’avoir des Jedi parmi eux. Mais Jaina sentit que Borsk Fey’lya ne serait pas mécontent de les voir périr pour défendre Ithor…

Ensuite arrivèrent les représentants des Vestiges de l’Empire, l’amiral Pellaeon en tête. Il salua Luke, l’amiral Kre’fey, le colonel Darklighter et Wedge Antilles. Puis il serra la main de Leia et s’assit à côté d’elle.

Plusieurs Moffs s’étaient déplacés, y compris Ephin Sarreti de Bastion – le seul qui n’eût pas des allures de fonctionnaire fatigué. Il salua Borsk Fey’lya et les dignitaires de la Nouvelle République avec un enthousiasme sincère. Il échangea des commentaires avec chacun d’eux, les surprenant par ses connaissances étendues de leur vie ou de leur planète.

Chez certains, Jaina capta de la suspicion.

— Parfait, commenta Ganner, voilà qui occupera le chef d’Etat Fey’lya !

— Il aura moins le loisir de conseiller les militaires sur la meilleure défense d’Ithor ! ricana Jaina.

Avant que Ganner puisse répondre, une nouvelle présence se manifesta dans la Force. Ces ondes ne nécessitaient pas d’effort conscient : son père et Wedge Antilles émettaient naturellement une énergie vitale spontanée brillant comme des balises dans la nuit.

Jaina se haussa sur la pointe des pieds pour mieux voir de qui il s’agissait.

A la tête d’une douzaine de Chiss à la peau bleue avançait un humain un peu plus petit que Ganner, moulé dans un uniforme noir soulignant sa musculature longiligne. La chevelure noire coupée court, une mèche blanche marquait la trace d’une cicatrice partant de son sourcil droit pour se perdre dans ses cheveux.

Il monta sur l’estrade. Les Chiss en uniforme blanc s’alignèrent devant la plate-forme. Il s’inclina devant Relal Tawron et lui serra la main. Le grand prêtre ithorien se tourna vers Borsk Fey’lya pour le lui présenter, mais l’homme le dépassa sans le regarder, s’arrêtant devant l’amiral Kre’fey et le colonel Darklighter. Des murmures s’élevèrent…

L’étonnement fut à son comble quand l’homme s’inclina devant Wedge, celui-ci le serrant dans ses bras. Avant que Jaina comprenne ce qui se passait, le leader Chiss salua l’amiral Pellaeon, ignora les Moffs et descendit de l’estrade.

Il inclina la tête devant elle.

— Je m’appelle Jag Fel, dit-il, examinant la jeune femme avec attention. En plus, vous êtes une Jedi… Fascinant !

— En plus ?

— D’être une excellente pilote. Vous êtes difficile à tuer !

— Je parie que c’est un compliment.

Jag Fel acquiesça.

— Chez les Chiss, c’est une grande marque d’estime. J’étais à peine meilleur que vous à votre âge.

— Il y a environ deux ans ? ricana Ganner.

— Oui. Juste avant que je prenne le commandement de mon escadron.

Wedge Antilles descendit de l’estrade et le rejoignit.

— Colonel Fel.

— Oui, mon oncle ?

— Vous devriez retourner sur l’estrade saluer les gens que vous avez négligés. Ils sont importants.

— Ce sont des politiciens.

— Certains pensent que vous ne les avez pas salués parce qu’ils ne sont pas humains.

— C’est idiot ! Je ne les ai pas salués parce que ce sont des politiciens.

Un sénateur sullustéen se leva.

— Une façon comme une autre de maquiller votre xénophobie.

Fel sursauta de surprise.

— Vous m’accusez d’être contre les non-humains ? Moi ?

Pwœ, le sénateur quarren, se leva à son tour.

— Vous en donnez l’impression, colonel Fel. Votre uniforme est taillé sur le modèle du Cent quatre-vingt-unième groupe de chasseurs impériaux de votre père, ennemi juré de la Rébellion. Le dédain que vous affichez envers nous est une preuve suffisante.

— Là d’où je viens…, commença le jeune homme.

Borsk Fey’lya lui coupa la parole.

— Vous venez d’une communauté néo-impériale ! Une poche de corruption créée par Thrawn, qui a continué de se développer dans la haine de tout ce que nous sommes. Vous êtes l’héritier de l’oppresseur, prêt à reprendre le contrôle sous le prétexte de nous aider.

— Ça suffit ! intervint le chef des Chiss. Ne vous ridiculisez pas plus que nécessaire.

Les yeux violets de Borsk Fey’lya lancèrent des éclairs.

— Vous osez me dire ce que je devrais faire ou pas ! Quelle présomption ! Vous êtes né privilégié, vous ignorez ce que c’est d’être rejeté à cause de son espèce. Vous exhibez même vos subordonnés non-humains pour nous rappeler que les Impériaux devraient toujours commander !

— Là d’où je viens, président Fey’lya, mon espèce est minoritaire. J’ai été élevé parmi les Chiss, jugé à l’aune de leurs valeurs. Et j’ai été reconnu digne de ces valeurs. J’ai mérité le commandement de mon escadron. (Il désigna le Chiss.) Voilà l’élite des pilotes, et ils voulaient voler sous mes ordres, pas parce que je suis un Impérial ou un humain, mais parce que je suis un chef et un pilote digne d’eux !

« Vous m’accusez de xénophobie, ignorant le fait que j’ai d’abord salué mon hôte ithorien puis l’amiral Kre’fey, un Bothan. Vous avez vu ce que vous vouliez voir. Je viens vous aider contre les Yuuzhan Vong, et pourtant vous me considérez comme un spectre du passé !

« Je ne vous ai pas salués pour une raison très simple : je viens me battre, pas jouer à des jeux politiques. Ma mission est de préserver votre liberté, non d’augmenter vos pouvoirs. Ou de vous aider à prendre le pouvoir.

Leia Organa Solo se leva et tendit la main au jeune homme.

— Et nous nous en félicitons. Votre aide sera précieuse. Celle des Vestiges comme celle de tous les peuples de la Nouvelle République. La seule façon de vaincre les Yuuzhan Vong est de nous unir.

Les dignitaires applaudirent. A ce stade, croire la crise résolue aurait été facile… Mais Jaina savait à quoi s’en tenir.

On avait lancé les mêmes accusations à sa mère : vouloir prendre le pouvoir aux non-humains.

Et certains n’hésitent pas à blâmer les Jedi de la chute de Garqi et de Dubrillion, ou à suggérer qu’ils sont en quelque sorte responsables de l’attaque des Yuuzhan Vong contre la Nouvelle République… D’ici à ce qu’on nous colle sur le dos la chute d’Ithor, le cas échéant, il n’y a pas des par secs…

Jag Fel se tourna vers Jaina comme s’il avait lu ses pensées. Elle ne baissa pas les yeux.

— Nous sauverons Ithor.